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Le Cachemire, une destination de rêve?

Betaab-valley

De grandes étendues, d’immenses lacs et rivières, de très hautes montagnes, une faune et une flore uniques, un environnement préservé, un climat doux… L’immensité à portée de vue, un paysage qui fait rêver. Le paradis sur terre! Mais tout n’est pas parfait au paradis… Le gouvernement, contaminé par la corruption, ne défend pas l’environnement contre les chaînes de grands hôtels.

Kashmir
La ville de Pahalgam en hiver. Malgré son climat relativement doux (la température en hiver reste aux alentours de zéro degré celsius), une quantité importante de neige due à l’altitude y tombe pendant les mois les plus froids. (Crédit photo : Showkat Ahmad)

À la rencontre de deux Kashmiri
Kashmiri dans la trentaine, Mushtaq Pahalgami est un habitant de Pahalgam, petite cité de montagne dans l’État indien du Jammu-et-Cachemire. Propriétaire d’un petit hôtel, il fait aussi parti de beaucoup d’organisations communautaires, et dirige une organisation non-gouvernementale. Il partage son temps entre son hôtel, sa famille, ses autres engagements communautaires, et la randonnée.

Mushtag Pahalgami
Mushtaq Pahalgami faisant de la randonnée dans les alentours de Pahalgam. “Je suis tout d’abord un randonneur, pas un environnementaliste,” affirme-t-il. (Crédit photo : Mushtaq Pahalgami)

Pahalgami s’indigne contre le non-respect des lois étatiques, et n’hésite pas à employer les grands moyens et à pointer du doigt pour défendre sa communauté. En particulier, il récrimine contre le gouvernement provincial qui, selon lui, ne soutient que trop peu la population locale. Omniprésent sur les médias sociaux, il est reconnu à Pahalgam comme un citoyen engagé et porte-parole désigné de la communauté. Une de ses préoccupations principales est le tourisme à Pahalgam, importante destination touristique de l’État du Jammu-et-Cachemire.

Showkat Ahmad est un jeune Kashmiri qui gère une chambre d’hôtes appelée «  Angel’s Inn  » à Pahalgam depuis deux ans. Ayant terminé des études en développement durable, il étudie en ce moment pour passer le concours d’administration de l’État. Ses objectifs dans le court terme sont de stabiliser les revenues de son hôtel, et satisfaire ses clients du mieux qu’il le puisse. Sensible aux problèmes environnementaux de l’État du Jammu-et-Cachemire, il partage une vision du tourisme similaire à celle de Pahalgami, opposant un certain type de tourisme qui se développe au détriment de l’environnement.

Voyager au paradis

L’État du Jammu-et-Cachemire accueille un nombre croissant de touristes depuis quelques années, qui viennent principalement du reste de l’Inde. Désigné comme ‘le paradis sur terre,’ ce territoire détient un patrimoine naturel et religieux de grande ampleur. Malgré une histoire mouvementée, la région s’est stabilisée dans les dernières années, et l’État s’appuie fortement sur le tourisme dans l’intention de remplir ses caisses et relancer son économie. De 2014 à 2015, le nombre de touristes au Jammu-et-Cachemire a augmenté de 10%.

L’État n’est pas le seul à vouloir attirer les touristes sur son territoire. À Pahalgam, le tourisme est de loin la principale source de revenus pour ses habitants. «  Le tourisme, c’est bien. Tout le monde bénéficie du tourisme,  » affirme Pahalgami. «  D’une certaine manière, chaque âme dépend du tourisme, » renchérit Ahmad. La ville est développée pour accueillir un grand nombre de touristes, surtout pendant la période estivale, et de nouveaux hôtels sont toujours en construction. Le tourisme étant principalement domestique, la population locale espère pouvoir séduire les touristes étrangers. Cependant, ce désir ne s’implémente pas toujours de manière éthique et peut entraîner des complications.

Angel's Guesthouse
Angel’s Inn Guesthouse, l’hôtel de Showkat Ahmad, en été. Cette chambre d’hôtes est une des nombreuses chambres d’hôtes de Pahalgam qui tentent de faire concurrence aux chaînes de grands hôtels. (Crédit photo : Showkat Ahmad)

Défis communautaires

«  Nous soutenons un tourisme sain,  » déclare Pahalgami. Il se positionne contre les individus et corporations qui développent des installations touristiques sans prendre en compte le bien de la population locale. «  Les gens sont égoïstes. Certains vont se sentir concernés, comme moi, mais beaucoup pas du tout,  » continue-t-il. Dans ses propos, il vise surtout les grands hôtels, qu’il accuse de détruire l’environnement. En particulier, certains de ces hôtels sont construits illégalement, car ils ne respectent pas les normes sanitaires et environnementales stipulées entre autre dans l’Acte de protection de l’environnement de 1986. Beaucoup ont des systèmes de drainage et d’égouts inadéquats, et rejettent leurs déchets et leurs eaux usagées dans la nature alentour, ce qui la contamine. Les lacs de la région, sources d’eau fraîche et potable pour beaucoup d’habitants, sont ainsi pollués.

Pahalgami et Ahmad sont d’accord sur le fait qu’une protection efficace de l’environnement est cruciale. «  L’écologie est vraiment une grande préoccupation… Mais c’est aussi une préoccupation sociale, » déclare Ahmad. C’est social dans la mesure où la transition écologique ne peut se faire que par un changement sociétal. Cependant cette affirmation démontre aussi que ceux qui ne respectent pas l’environnement sont principalement les classes privilégiées, et qu’il faut donc réussir à rassembler assez d’influence dans la communauté pour faire pression sur les plus influents. C’est ce que Pahalgami essaye de faire.

Mountview hotel
L’hôtel Mountview vu de derrière. Cet hôtel est un des hôtels de Pahalgam qui n’a pas un système d’égouts approprié, et qui rejette ses déchets dans la nature, contaminant l’environnement alentour. Nous n’avons pas réussi à contacter les propriétaires de l’hôtel pour une réponse. (Crédit photo : Mushtaq Pahalgami)

En effet, ce dernier affirme que le gouvernement provincial ne remplit pas son rôle dans la mesure où il ne régule pas assez le tourisme. Le gouvernement devrait protéger les lacs et autres ressources naturelles de Pahalgam, pour le futur de la population. Cependant le gouvernement, contaminé par la corruption, ne défend pas l’environnement contre les chaînes de grands hôtels, qui peuvent donc construire leurs hôtels sur le territoire de l’État en toute impunité. Cette corruption est malheureusement endémique en Inde, et dépasse la question du tourisme. «  La corruption précède le tourisme, et non l’inverse,  » atteste Pahalgami. En d’autres termes, le tourisme n’engendre pas la corruption, mais présente un autre exemple où celle-ci persiste. D’après lui, un tourisme raisonnable est donc acceptable.

Vers le développement d’un tourisme durable

« J’espère promouvoir le concept du tourisme vert, en incitant le tourisme à impact réduit et à petite échelle comme alternative au tourisme de masse non réglementé,  » confie Pahalgami. Il mène donc une campagne pour entraver le développement d’activités et installations touristiques à grand impact et pour entraîner une transition vers un tourisme régulé et durable. En effet, il apprécie la beauté de sa région, et désire l’exhiber à d’autres, tout en la protégeant.

Ahmad considère cela comme crucial pour Pahalgam. «  Des politiques transparentes et conçues honnêtement sont une manière de réguler le tourisme,  » assure-t-il. Il serait aussi pour une régulation du nombre de touristes à l’année. Il existe donc nombre de solutions pour réduire l’impact du tourisme sur l’environnement aux alentours de Pahalgam dans les intérêts actuels et futurs de la population locale. Reste à savoir si le gouvernement prendra son rôle à cœur et encouragera cette transition.

Betaab Valley
La vallée Betaab durant la saison estivale. C’est notamment par cette vallée que la cave Amarnath, un des sanctuaires hindous les plus sacrés, est accessible pendant quelques semaines de l’année. Pahalgam reçoit alors un grand nombre de pèlerins Hindous venant de toute l’Inde (Crédit photo.  : Mushtaq Pahalgami)
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Marion Lugagne